La peur des risques
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L'Est-Républicain

15/09/2013 



BERNARD LAPONCHE

« En choisissant l’enfouissement, on ouvre la voie à une généralisation du processus qui sera incontrôlable et dangereuse pour la planète »

Que pensez-vous de la gestion des déchets radioactifs ?

On ne peut isoler le débat sur Cigéo de la question des déchets. La production électrique par le nucléaire génère des déchets très dangereux pendant une longue période. Plusieurs pays refusent le nucléaire ou ont changé leur politique à cause des déchets dont on ne sait pas quoi faire. La France est unique. Nous produisons l’essentiel de notre électricité à base du nucléaire avec beaucoup de déchets. Avec le retraitement que nous sommes seuls à faire, nous multiplions en plus les types de déchets, dont le plutonium. Il est nécessaire de repenser la production électrique. L’étape du retraitement de La Hague peut être évitée et on peut poser la question des exportations d’électricité. On vend l’énergie mais on garde les déchets. Or l’exportation représente une dizaine de réacteurs. Si on n’exporte plus, on réduira la production, donc les déchets.

Toutefois, aujourd’hui, les déchets existent. Comment les traiter ?

On nous présente trois solutions. Or l’une d’elles, l’entreposage en surface, existe déjà. Avant d’aller plus loin, il faut se demander s’il est pratiqué en sûreté et sécurité. Selon moi, ce n’est pas le cas. Les piscines de combustibles dans les centrales et à La Hague posent un problème de sécurité considérable. Il faut les bunkeriser avec du béton. Il y a aussi les résidus de mines et le stockage de l’Andra à côté de La Hague. À la limite, ce qui pose le moins de problème immédiat, ce sont les éléments vitrifiés à La Hague et appelés à aller dans Cigéo.

Pensez-vous que l’on puisse les transformer ?

On a essayé la transmutation mais les résultats, aujourd’hui, ne sont pas très bons. Alors on dit : la recherche scientifique, c’est fini, pour pouvoir s’en débarrasser autrement. C’est inadmissible. C’est la première fois que j’entends dire que la science serait impuissante. La physique moderne a un siècle. Les progrès ont été considérables. Pourquoi ce ne serait pas la même chose à l’avenir ?

Comprenez-vous que l’enfouissement soit privilégié ?

Selon moi, ce n’est pas sûr. Au départ, on devait chercher dans plusieurs matières et on n’a gardé que l’argile. Si cela se fait, tous les pays vont se dire, c’est formidable, il y a une solution, faisons la même chose pour tous les déchets nucléaires et les autres matières toxiques. La généralisation d’un tel processus est incontrôlable. Il n’y aurait pas de garantie sur la qualité des structures qui verraient le jour un peu partout. Le XXe siècle a été le siècle de la pollution de la planète. On commence tout juste à corriger le tir et on veut faire du XXIe siècle celui de la pollution de la croûte terrestre ! Or la croûte, c’est le bien-être de l’Humanité, c’est l’eau, la force nourricière. On y faisait attention jusqu’à présent. Il y a une forme d’aveuglement dans cette solution qui n’en est pas une. On prétend éviter le fardeau aux générations futures mais c’est le contraire. On le leur délègue en remplissant des trous dans la croûte terrestre.

Que pensez-vous de Cigéo ?

En tant que tel, il ne tient pas la route. Dans ses travaux, Bertrand Thuillier a soulevé de vrais soucis. Pendant cent ans, on aura un chantier de génie civil colossal avec deux installations nucléaires : en surface, où des matières resteront un certain temps, et en sous-sol. On nous dit tout est prévu. Mais qui peut prévoir ce qui va se passer pendant les cent prochaines années ? Il n’y a qu’à regarder depuis cent ans… Personne ne peut prétendre qu’il n’y aura pas d’incendie, d’inondation, de conflits… On fait une machine intrinsèquement dangereuse car les matières sont sensibles. En plus, on passe directement à la dimension colossale. C’est comme si on était passé d’un test de réacteur dans les années 50 à l’EPR direct. Il n’y a pas d’urgence car les matières vitrifiées ont besoin de quatre-vingts ans pour être refroidies. Enfin, on ne prévoit pas une récupérabilité. On impose partout de construire en pensant au démantèlement. Il faut imposer de pouvoir récupérer la matière de Cigéo dans la perspective des progrès techniques. Or on nous propose de les poser et de fermer…


 

LIEU

Plusieurs lecteurs nous ont fait part ces derniers jours de leurs commentaires sur les réseaux sociaux et sur debatpublic@estrepublicain.fr. Voici leurs questions et avis et les réponses de l’expert Bernard Laponche et de Fabrice Boissier, le directeur des risques de l’Andra.

Lieu

Mélodie : « Pourquoi avoir choisi la Meuse pour implanter un tel stockage ? »

Bernard Laponche (Global Chance) : Plusieurs laboratoires de recherche souterrains étaient prévus par la loi de 1991 mais les sites potentiels, notamment en zone granite, ont été refusés par les populations et seul celui de Bure a été construit du fait de l’intérêt de la couche argileuse mais aussi parce que la zone était peu peuplée et pauvre et le sous-sol jugé impropre à toute exploitation. La ou les installations de stockage des déchets ne devaient pas forcément être installées au même endroit. Les études en laboratoire ayant été jugées favorables et les deux départements concernés ayant bénéficié de subventions substantielles (et tout à fait exceptionnelles pour un laboratoire de recherche), il a été ensuite facile de proposer que le stockage des déchets radioactifs se fasse sur la même zone, d’où le projet Cigéo. Je pense que ce projet dangereux ne doit pas se faire.

Fabrice Boissier (Andra) : Suite au vote de la loi de 1991, des recherches ont été menées en France pour implanter un laboratoire souterrain afin d’étudier la faisabilité d’un stockage profond. Plusieurs territoires se sont portés candidats, dont les départements de Meuse et de Haute-Marne. Après avoir examiné les candidatures, notamment sur le plan scientifique, le gouvernement a autorisé l’Andra à construire un laboratoire souterrain en Meuse/Haute-Marne. Les recherches menées depuis près de vingt ans sur le site de Meuse/Haute-Marne ont montré qu’il présente des caractéristiques favorables pour y implanter un stockage sûr à très long terme.

Santé

Elodie : « Le transport et le stockage en surface avant la descente des déchets radioactifs dans le centre ne va-t-il pas entraîner des risques accrus de maladie, notamment de cancers pour la population locale ? »

Bernard Laponche (Global Chance) : Pendant au moins cent ans, il y aurait des transports permanents de « colis » de déchets radioactifs entre leurs lieux de production (La Hague, Marcoule, voire des centrales nucléaires) et Cigéo. En parallèle à la poursuite du chantier de construction, on aurait deux « installations nucléaires de base » : l’une en surface pour la vérification et l’entreposage temporaire des colis radioactifs avant enfouissement, l’autre à 500 mètres de profondeur pour le stockage. Les risques principaux sont liés à la possibilité d’accidents, soit au niveau des transports, soit à celui des bâtiments d’entreposage en surface (incendie par exemple), soit surtout dans la zone d’enfouissement (inondation, incendie, explosion d’hydrogène…) avec évidemment de graves conséquences sur les travailleurs et la population.

Fabrice Boissier (Andra) : Les déchets radioactifs seront transportés dans des emballages spécialement conçus pour protéger les travailleurs et les populations des radiations et empêcher le risque de dispersion de radioactivité dans l’environnement. Dans Cigéo, cette protection sera assurée par les colis et les installations afin que les déchets ne présentent de risque ni pour la santé ni pour l’environnement. Toutes ces dispositions seront contrôlées par une autorité indépendante, l’Autorité de sûreté nucléaire.

Science

Estelle : « Pourquoi n’arrivons-nous pas encore à valoriser, à réduire la taille et la dangerosité de ces déchets, comme on peut le faire pour d’autres produits ? »

Bernard Laponche (Global Chance) : La méthode actuellement étudiée pour la réduction de la quantité de certains produits radioactifs et donc du danger que présentent les déchets radioactifs, la transmutation, s’avère sans grandes possibilités et à des coûts très élevés, tant du point de vue financier qu’énergétique. Par contre, prétendre qu’il faut par conséquent enfouir à grande profondeur et reboucher est inadmissible du point de vue éthique et scientifique. La solution « la moins mauvaise » est le stockage sécurisé (bunker en sub-surface) à sec des combustibles irradiés non retraités (après leur séjour dans des piscines qui devraient être elles-mêmes bunkerisées, ce qui n’est pas le cas actuellement et présente de gros risques), qui peut durer plusieurs centaines d’années. C’est ce qui est appliqué dans plusieurs centrales aux États-Unis.

Fabrice Boissier (Andra) : De nombreuses recherches ont déjà été menées pour diminuer le volume et la dangerosité des déchets produits par les installations nucléaires. Les organismes de recherche et les exploitants nucléaires poursuivent ces recherches pour réduire encore la quantité de déchets radioactifs qui seront produits dans le futur. L’Andra participe activement à ces recherches.

Stockage

Dominique : « Il faut bien mettre ces déchets quelque part. Comment faire fonctionner nos appareils électriques sans centrale nucléaire ? » Tony : « Il faut les stocker ! J’ai travaillé sur le site et le projet semble bien fait. Je suis quasiment sûr qu’il n’y aura pas d’incident. »

Bernard Laponche (Global Chance) : Comme dit précédemment, le stockage à sec en sub-surface me paraît la moins mauvaise solution. Mais, comme pour des déchets bien plus ordinaires, l’important est d’abord la réduction ou même l’arrêt de la production de ces déchets extrêmement dangereux et pour très longtemps. L’Allemagne et l’Italie ont décidé de ne plus recourir à la production d’électricité d’origine nucléaire. Le même choix peut être fait en France. Dans l’immédiat, on doit réduire les quantités de nouveaux déchets en supprimant les exportations d’électricité « nucléaire » (car on garde les déchets correspondants), faire des économies d’électricité (ce qui, en plus, diminue la facture des usagers) et développer la production d’électricité et de chaleur à partir des énergies renouvelables dont les potentiels sont considérables en France. Quant à la question des accidents possibles, il me paraît bien risqué de croire à un tel degré de perfection sur une période de cent ans et plus.

Fabrice Boissier (Andra) : Quels que soient les choix énergétiques, une solution doit en effet être mise en œuvre pour les déchets déjà produits depuis plusieurs dizaines d’années. S’il est autorisé, Cigéo permettra de les mettre en sécurité de manière définitive et de ne pas reporter leur charge sur les générations futures. La sûreté est au cœur du projet Cigéo. Pour que le projet puisse être autorisé, l’Andra doit démontrer à l’Autorité de sûreté nucléaire que l’installation permet de maîtriser les risques liés aux déchets radioactifs, pendant son exploitation et après sa fermeture.

Déjà décidé ?

Noual et Gilbert : Il s’agit d’un drôle de débat sur un projet qui est déjà en construction sans aucun avis de la population. On voit bien que les gens qui décident n’ont pas sous le nez ces déchets tous les jours…

Bernard Laponche (Global Chance) : Les pouvoirs publics ont la responsabilité d’assurer il n’y a pas de début de construction ni de démarches commerciales de type achat de terrains ou autres anticipations. Même si l’on peut avoir des doutes sérieux sur la suite au vu de la puissance des organismes et entreprises du nucléaire, je pense que beaucoup d’arguments, y compris sur l’économie locale, la qualité de l’environnement et la possibilité d’un développement beaucoup plus respectueux de la nature, de l’environnement et de la société humaine, peuvent être compris et adoptés par les élus locaux et nationaux à qui reviendra, en fin de compte, de prendre la décision. Il s’agit d’une décision fondamentale sur le rapport de l’Humanité avec la planète qui l’héberge.

Fabrice Boissier (Andra) : Aujourd’hui, rien n’est décidé concernant la construction de Cigéo. Le débat public qui se déroule actuellement vous permet d’exprimer votre avis et vos attentes sur le projet. La décision de créer ou non Cigéo reviendra à l’État après l’évaluation du dossier technique qui sera remis par l’Andra en 2015 et après l’avis des collectivités territoriales et une enquête publique.

 


 

TROIS VOIES MAIS UN SEUL CHOIX


Le débat public sur le projet Cigéo à Bure se poursuit avec un débat contradictoire sur internet mercredi consacré aux solutions de gestion.

Après le débat contradictoire diffusé sur internet en juillet, la Commission nationale du débat public via la commission particulière en charge du débat sur Cigéo propose cette semaine un nouveau rendez-vous sur le projet industriel envisagé à Bure-Saudron. Claude Bernet et son équipe proposent mercredi 18 septembre (19 h sur debatpublic-cigeo.org) un débat contradictoire sur les solutions de gestion.

Les discussions ne manqueront pas d’être animées, tant le sujet suscite deux visions radicalement opposées de la gestion des déchets radioactifs. L’une consistant à vouloir garder à portée de main les matières pour des questions de sûreté et de sécurité en attendant que le progrès permette de traiter ces matières. L’autre inscrite dans la loi de 2006 préconisant l’isolement de la radioactivité grâce à l’enfouissement, donc Cigéo. Mercredi soir, l’Andra, par la voix de Fabrice Boissier, son directeur des risques, et le CEA, représenté par Bernard Boulis, son directeur du programme technologies du cycle de combustibles et gestion des déchets, feront face à deux opposants : le polytechnicien et physicien Bernard Laponche, de l’association Global Chance, et Jean-Marie Brom, physicien nucléaire et chercheur. Ils défendront les pistes alternatives à Cigéo : l’entreposage dans des structures en surface qui existent d’ailleurs déjà, et la transmutation ou séparation des radionucléides pour en réduire la nocivité et la durée de vie.

Selon les travaux de l’Andra et du CEA validés par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), l’enfouissement est la meilleure solution car les autres pistes n’écarteraient pas les risques de contamination de manière pérenne. Jugeant que le projet n’est pas encore abouti techniquement et qu’il n’offre pas assez de garantie à très long terme, les opposants estiment qu’il est urgent d’attendre et que l’Humanité n’a pas le droit de négliger les autres possibilités en abandonnant dans le sous-sol des matières aussi dangereuses. Ils militent pour garder la possibilité d’intervenir à tout moment sur les déchets, en cas de fuite et de progrès technique (transmutation) qui peut intervenir dans 50 ou 100 ans. Aux yeux de l’Andra et du CEA, l’entreposage a une durée de vie limitée (300 ans), imposant la reconstruction régulière des ouvrages. Pour eux, seul l’enfouissement offrirait une solution définitive de protection de l’Homme. Leurs adversaires estiment pour leur part que cette solution, en plus des risques générés et non maîtrisables, n’a en fait rien de définitif.

Sébastien GEORGES




À NOS LECTEURS


POSEZ-NOUS VOS QUESTIONS

Dans le cadre des initiatives destinées à dynamiser le débat public sur le projet de centre industriel de stockage des déchets radioactifs dans la région de Bure, L’Est Républicain, le Journal de la Haute-Marne et la CNDP (Commission nationale du débat public) s’associent pour proposer un espace de débat.

En marge des débats thématiques en vidéo sur le site internet du débat public (debatpublic-cigeo.org) chaque mercredi (19 h), tous les lecteurs sont invités à adresser par mail ou par courrier à la rédaction de L’Est Républicain de Bar-le-Duc leurs questions sur le projet Cigéo. Dans la limite de l’espace disponible, elles feront l’objet d’une publication dans les colonnes de L’Est Républicain et du Journal de la Haute-Marne dans des pages spéciales avant chaque débat.

Elles seront accompagnées des réponses d’experts indépendants invités par la CNDP, comme Bernard Laponche et des responsables de l’Andra.

L’ensemble des questions et avis, en particulier ceux qui n’auront pas été diffusés dans les journaux, sera publié sur le site de la CNDP (débatpublic-cigeo.org) où ils seront accompagnés d’une réponse argumentée.

Dès maintenant, les avis et questions défavorables, favorables ou sans opinion sur le projet Cigéo doivent être adressées sous le titre « débat public Bure-Cigéo » à LERdebatpublic@estrepublicain.fr ou par courrier à L’Est Républicain, 31, place Reggio 55000 Bar-le-Duc. Il est recommandé d’indiquer : prénom, ville de résidence.



DÉBATS CONTRADICTOIRES SUR INTERNET D’UNE DURÉE DE 90 MINUTES,
LES DÉBATS CONTRADICTOIRES THÉMATIQUES DE LA CNDP...

D’une durée de 90 minutes, les débats contradictoires thématiques de la CNDP, où un représentant de l’Andra est face à des intervenants indépendants, sont à suivre sur debatpublic-cigeo.org. Il est possible de poser des questions en direct par SMS : envoyez « débat » au 32321, suivi de la question (service gratuit hors coût du SMS). Par mail à question@debatpublic-cigeo.org, via Facebook et Twitter.

Prochains rendez-vous (début à 19 h). Mercredi 18 septembre : « Les solutions de gestion : stockage, entreposage, séparation-transmutation ». Lundi 23 septembre : « Comparaison des expériences internationales (Suède, Finlande, États-Unis, Canada, Allemagne) ».



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28/03/24
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